Léon TOLSTOÏ
LA COMÈTE DE HALLEY
« Le temps était admirablement clair au dessus des rues sales et obscures, au dessus des toits qui s’enchevêtraient les uns dans les autres, s’étendait la voûte foncée du ciel toute constellée d’étoiles.
En contemplant ces hautes et mystérieuses sphères si bien harmonisées avec l’état de son âme, il oubliait l’outrageuse abjection de la terre.
Au moment où il (le Comte Pierre Bezoukov) débouchait sur l’Arbastraskaïa, un large espace du sombre horizon s’ouvrit devant ses yeux.
Tout au milieu rayonnait une pure lumière dont la brillante chevelure entourée d’astres scintillants se déployait majestueusement à l’extrême limite de notre globe : c’était la fameuse Comète de Halley de 1811, celle-là même qui au dire de chacun annonçait des calamités sans nombre et la fin du monde.
Mais elle n’éveilla aucune terreur superstitieuse dans le cœur de Pierre et ses yeux humides de pleurs l’admiraient au contraire avec extase. Ne semblait-elle être venue s’enfoncer dans un coin de la terre comme une flèche dont la parabole aurait franchi avec une rapidité vertigineuse l’incommensurable espace et qui maintenant relevant au dessus d’elle son long et lumineux panache, se jouait au loin dans l’infini ?
Il lui semblait que sa céleste lueur dissipait les ténèbres de son âme et lui laissait entrevoir les clartés divines d’une nouvelle existence."
La Guerre et la Paix
Deuxième partie, l’Invasion 1807-1812